Témoignages d’experts scientifiques : le concept « One Health » peut-il rénover l’approche de la santé animale et végétale ?
Dans le contexte de crise pandémique mondiale Covid-19, l’approche multisectorielle « One Health » permet de prendre du recul sur ce que nous vivons actuellement et d’ouvrir de nouvelles voies de réflexion pour mieux agir demain. Ce concept « One Health », c’est-à-dire « Une santé » est une logique de pensée, une vision de la nature où l’idée défendue est que l’on ne peut pas avoir des plantes, des animaux ou des humains, en bonne santé dans un environnement qui globalement ne l’est pas. Le fonctionnement des êtres vivants d’un environnement, des microbes dans les sols, des plantes et des hommes est interdépendant et tout est question de gestion des équilibres, des temporalités et de la répartition et des déplacements des êtres vivants dans l’espace.
Les problématiques abordées par « One Health » comprennent la résistance aux antibiotiques, les zoonoses, l’approvisionnement et la sécurité alimentaire, les maladies à transmission vectorielle, la contamination de l’environnement et d’autres menaces pour la santé partagée par les personnes, les animaux et l’environnement. « One Health » promeut une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé publique, animale et environnementale aux échelles locales, nationales et planétaire.
Pour Pascal Boireau, Directeur du laboratoire de santé animale de l’Anses et coordinateur du DIM*** « One Health » pour la région Ile-de-France, explique que le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui vit en déséquilibre et consomme à crédit les ressources naturelles. On constate aussi la vitesse accélérée de l’émergence ou de réémergence des maladies infectieuses humaines et animales depuis 100 ans. La densité humaine, le monde
en déplacement ont accompagné l’expansion des épidémies et l’impact sur la biodiversité qui peut jouer un rôle de dilution de l’agent pathogène. L’agriculture a un rôle fondamental dans la cogestion de la biodiversité et du maintien des équilibres de la vie.
Exposant plusieurs exemples (virus Nipah en Inde, Encéphalite équine et virus Hendra au Vénézuéla, maladie de Lyme en Virginie transmise par les rongeurs via les tiques, les maladies transmises par 6 espèces de moustiques responsables de 10 % de la mortalité humaine mondiale…), Pascal Boireau montre concrètement en quoi l’activité humaine peut avoir des conséquences sur la biodiversité, sur l’équilibre des écosystèmes et sur l’émergence et l’expansion des maladies infectieuses. Il prouve que l’approche transdisciplinaire est indispensable pour mieux gérer les crises zoonoses. En toute humilité, il précise que pour les contrôler, il est nécessaire de se fonder sur des dispositifs d’analyse scientifique, de surveillance active et de concertation-action avec les acteurs concernés.
Pour le cas du virus Nipah en Inde, l’émergence de cette épidémie a été d’abord liée aux déplacements des populations de chauve-souris fructivores (Pteropus) et vectrices de ce virus vers des zones d’élevage de porcs et d’habitation humaine. Ce phénomène était lié à des facteurs humains et environnementaux : la présence de bambous, attractifs pour les chauve-souris et utilisés dans les porcheries, et le phénomène climatique « El Niño » des années 1997-98 caractérisé par une augmentation anormale de la température des eaux du Pacifique-Est le long des côtes de l’Amérique du Sud qui a provoqué des sécheresses importantes en Asie, augmenté les incendies lesquels ont fait fuir les populations de ces chauve-souris affamées. C’est cette conjonction de facteurs qui a favorisé la transmission du virus à l’homme via l’animal d’élevage en Asie.
André Fougeroux, correspondant de l’Académie d’agriculture de France et président de la commission « ravageurs et auxiliaires » de Végéphyl, a pour sa part fait le point sur la place du végétal dans ce concept.
Il converge et affirme que la gestion des équilibres des espaces cultivés doit être repensée de manière holistique.
La production agricole et nos systèmes alimentaires sont liés à nos espaces de vie et les activités humaines ont une empreinte sur les écosystèmes au fil de l’évolution. Notre environnement n’est pas dans un « équilibre naturel originel« et la stratégie qui serait de « laisser faire » n’est donc pas adaptée. Au vu de l’accroissement de la population mondiale et des besoins alimentaires dans un contexte marqué de surcroît par le changement climatique, l’absence ou l’insuffisance de solutions pour soigner/protéger les cultures est compromettante pour les générations futures. Il est indispensable de soigner les cultures car aujourd’hui encore, près de 35 % de la production mondiale est détruite par les bio-agresseurs. Plus généralement, la santé des végétaux est un enjeu pour les matériaux, les animaux et les Hommes.
A. Fougeroux rappelle que seule la mise en œuvre d’une protection intégrée des cultures (PIC), concept porté depuis de nombreuses années par l’Acta, l’OILB**** et la FAO* est viable car aucune solution ne résout, à elle-seule, durablement un problème phytosanitaire. Cette idée est ancienne comme le montre la citation de P. Marchal dès 1940 : « Ce n’est que par la combinaison rationnelle des méthodes que dans le domaine de la lutte contre les grands ennemis des cultures, on peut espérer le succès« .
Chaque méthode de lutte présente des bénéfices/risques sur l’environnement, sur la santé humaine, sur les résistances voire sur l’apparition de nouveaux bio-agresseurs. Il convient de maitriser les conséquences des bio-agresseurs sans forcément les détruire totalement en privilégiant en amont toutes les méthodes prophylactiques. Dans le même temps, il est urgent de trouver des alternatives à la pharmacopée de synthèse dont le nombre de molécules mises sur le marché diminue drastiquement ces dernières années et risque d’entrainer des impasses et des disparitions de « filières agricoles orphelines ». Il importe aussi de mettre au point des procédés nouveaux sur le terrain, des itinéraires techniques permettant de concilier la production de biens alimentaires avec une gestion durable des écosystèmes qui prennent davantage en compte les effets de facteurs environnementaux et qui favorisent les facteurs de régulation naturelle : rôle du sol et de la nutrition sur la santé des végétaux, effet des environnements des parcelles (rôle des bordures, haies…), effets des couverts végétaux, des plantes compagnes, des mélanges d’espèces, réduction de la dépendance aux intrants, gestion globale des systèmes de production.
Il s’agit donc de concevoir et piloter des systèmes qui optimisent les services écosystémiques tout en gérant la biodiversité “non-souhaitée“. Cela suppose de mieux connaitre la biodiversité pour la préserver, voire la favoriser et de renforcer sa contribution. De nombreux travaux tentent de qualifier et de quantifier les impacts de la production agricole sur la biodiversité, les instituts techniques agricole privilégient les travaux visant à mesurer les impacts de la biodiversité sur les productions et sa place dans les systèmes d’exploitation. C’est le cas des travaux sur la régulation naturelle des bio-agresseurs dans le cadre du nouveau RMT (Réseau mixte technologique) BioRég, coanimé par l’ASTREDHOR et INRAE ou encore du projet Alto porté par la station expérimentale du CTIFL Balandran.
Les besoins de démonstration de ces approches systémiques sont énormes. Si des travaux de recherche appliquée sont déjà initiés en adéquation avec ce changement de paradigme, les nouvelles méthodologies restent à développer de manière transversale car les références sont plus difficiles à mettre au point que dans l’évaluation des relations binaires plante-bio-agresseurs et sont souvent multi-filières.