Retour sur la conférence-débat de l'Acta : IA, agriculture et urgence climatique
Assemblée générale de l’Acta : « Connecter l’intelligence artificielle (IA) & l’Agriculture pour faire face à l’urgence climatique »
Ce jeudi 6 juin 2024, l’Acta a tenu son Assemblée générale ouverte au public sur le thème « L’IA et l’Agriculture peuvent-elles répondre à l’urgence climatique ? ». Près de deux cents personnes (représentants professionnels agricoles, administration, journalistes et acteurs de la recherche-innovation-transfert agricole) y ont participé en présentiel ou en distanciel.
Doté d’un énorme potentiel, la technologie de l’intelligence artificielle générative se développe rapidement depuis 2022. Concomitante des crises agricole et climatique, cette révolution technique constitue un point de rupture dans nos modes de vie, de travail, et une opportunité comme facteur de progrès, si elle est bien maîtrisée et encadrée au service de l’humain et du climat.
Mehdi Siné, directeur scientifique, technique et numérique de l’Acta a présenté comment les instituts techniques agricoles (ITA) intègrent les différentes formes d’IA dans les travaux numériques pour en extraire des outils utiles pour les agriculteurs. Gilles Babinet, entrepreneur, co-président du Conseil national du numérique, a rappelé les conditions nécessaires au secteur de l’agronomie pour restaurer la productivité agricole et revoir la répartition de la valeur ajoutée aux externalités environnementales. Le sujet a ensuite été approfondi au travers les témoignages d’Hervé Pillaud ancien agriculteur, auteur et militant actif de la cause agricole et de Jacques Sainte Marie, directeur scientifique adjoint de l’Inria* au cours de la table ronde élargie et animée par Jean-Paul Bordes, Directeur général de l’Acta.
L’IA au service de la souveraineté agricole, de la transition environnementale et du climat ?
« Si nous organisons aujourd’hui un débat sur le thème de l’Intelligence artificielle avec des experts, c’est parce que nous considérons que c’est un enjeu stratégique pour l’agriculture et plus particulièrement pour la recherche appliquée portée par les ITA »
a indiqué Anne-Claire Vial, présidente de l’Acta en ouvrant la conférence.
La technologie IA vue et appliquée par les instituts techniques agricoles : Mehdi Siné a rappelé que la technologie IA (machine learning et deep learning) entre naturellement dans le cœur des activités numériques et exploratoires des instituts techniques agricoles. Ces avancées technologiques ouvrent un horizon prometteur dans le développement de services pour le monde agricole allant d’outils de diagnostic à des outils d’aide à la décision (OAD) prédictifs pour les agriculteurs. Ces derniers doivent être contextualisés, évalués pour valider leur fiabilité prédictive. Selon une enquête conduite par l’Acta au sein du réseau des instituts techniques les ITA utilisent l’IA pour 4 grands types d’usages :
- le support à la décision (OAD tactiques, OAD stratégiques, simulateurs/jumeaux numériques, comme par exemple les outils FARMSTAR® (ARVALIS/Airbus) en grandes cultures, Decitrait® (IFV en vigne,) ou encore Baco® (ASTREDHOR en horticulture et cultures spécialisées) en horticulture et cultures spécialisées pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires.
- la digitalisation des méthodes expérimentales par la valorisation massive des « données captées et traitées par ordinateur », comme le comptage automatique d’épis de blé par deep learning (ARVALIS), la reconstruction 3D d’un bovin pour déterminer son poids (Idele-Institut de l’Èlevage) ou encore le tracking par imagerie individualisée des poulets de chair (ITAVI) avec E-broiler track®, outil qui évalue et prédit en temps réel leur bien-être et santé selon la grille d’évaluation EBENE®.
- la robotique et l’automatisation des agroéquipements, robots expérimentateurs et/ou de surveillance qui diminuent en particulier les travaux d’astreinte (robot de traite…)
- et enfin l’IA conversationnelle « ChatBots ou l’IA générative » qui analyse et interprète du langage (documents, données, bibliographies…).
La plupart du temps les outils et services numériques sont codéveloppés avec des partenaires R&D et avec un opérateur privé (qui fournit souvent les capteurs). Les modèles qui permettent de capitaliser les connaissances acquises grâce à de nombreuses expérimentations et qui sont évalués avant d’être utilisés par les agriculteurs. Les modèles qui permettent de capitaliser les connaissances acquises grâce à de nombreuses expérimentations et qui sont évalués avant d’être utilisés par les agriculteurs. Ces derniers utilisant l’IA sont testés notamment via le dispositif des 19 DIGIFERMES®.
L’IA générative, technologie beaucoup plus récente, va être mobilisée dans 3 grands projets de R&D en gestation : la plateforme « connaissance actionnable » visant les cibles des conseillers et de l’enseignement, le Bulletin de santé du végétal (BSV) dont le prototype est né dans le cadre du 1er Hackathon GAIA au SIA 2024 en collaboration la société MISTRAL et la Ferme digitale, et enfin le développement de jumeaux numériques de fermes.
L’IA générative, qui est devenue accessible simplement et auprès du plus grand nombre, bouleverse les possibilités des moteurs de recherche, démultiplie les possibilités des outils bureautiques et permet d’optimiser de nombreuses tâches intellectuelles.
D’après une enquête interne réalisée en avril 2024, 40 % des collaborateurs du réseau ont déjà recours à l’IA générative dans le cadre professionnel.
Si l’IA générative suscite aujourd’hui beaucoup d’espoirs, de nombreuses craintes et réactions apparaissent en matière de propriété intellectuelle, d’opacité des modèles fermés, d’accès aux données, de dépendance technologique, de problèmes comportementaux (paresse cognitive, de perte d’expertise et d’influence) ou encore d’impacts environnementaux (réchauffement climatique, consommation d’énergie…).
« L’IA peut permettre de libérer du temps, de réduire la pénibilité, augmenter la réactivité et a le potentiel de rendre plus attractifs les métiers (agricole ou recherche) »,
assure Mehdi Siné.
L’IA générative, immense champ des possibles à mettre au service du progrès et de la restauration de la productivité en agriculture.
Selon Gilles Babinet, entrepreneur et co-président du Conseil national du numérique, nous sommes dans un contexte d’accélération exponentielle et continue de cette technologie IA, capable d’effectuer des tâches d’un grand degré de complexité. Pour autant, les effets positifs sur la productivité ne s’exprimeront pas rapidement car cette technologie reste systémique. Il est nécessaire de l’inscrire dans le cadre d’une action coordonnée pour qu’elle se déploie pleinement.
L’écosystème agricole français, hétérogène et dynamique structurellement, par son haut niveau d’imprédictibilité et son environnement multiple, parait le champ d’expression particulièrement adapté et privilégié pour l’IA générative. Cette technologie de rupture semble tout appropriée pour accompagner l’évolution du secteur agricole multifactoriel, restaurer sa productivité, neutraliser les externalités environnementales et revoir la répartition de la valeur ajoutée. Les systèmes décisionnels pour gérer des écosystèmes complexes à base d’IA sont sensiblement améliorés et sont en réalité, plus décarbonés.
Toutefois, cela suppose une capacité d’interaction et de compréhension mutuelle sur 3 piliers : le système régulateur (règlementation), le système de recherche et les « applicateurs des innovations » et d’être accepté par la société. En France, pour retrouver une nouvelle dynamique, il serait nécessaire de sortir des confrontations frontales (environnementalistes/agriculteurs) et de rétablir la confiance entre les parties prenantes pour construire un projet collectif, faire rêver et permettre à nouveau l’émancipation technologique.
« Les agriculteurs pourraient même renforcer leur rôle d’« auxiliaires du climat » en captant du carbone grâce à leurs actions de « recréation de l’humus » dans les sols. »
Le débat s’est poursuivi au travers des regards complémentaires de 2 experts reconnus dans les secteurs agricoles et du numérique, réunis autour de la table ronde animée par Jean-Paul Bordes, Directeur général de l’Acta.
Jacques Sainte-Marie, directeur scientifique adjoint de l’Inria*, co-président du PEPR Agroécologie et Numérique, explique comment l’arrivée de l’IA générative a été une surprise pour le grand public et comment il voit le développement de cette technologie en agriculture d’un point de vue scientifique. Face à l’urgence climatique, il y a urgence à mettre en œuvre des systèmes transformants. L’IA est un outil potentiel de décarbonation qui peut aider à changer de mode fonctionnement en prenant d’avantage en compte les questions environnementales.
« Les standards de ces nouveaux outils numériques sont en train de se définir maintenant, il faut en être un acteur majeur. Pour enclencher une « rupture créatrice ». »
L’IA est une opportunité pour agir et peut être un bon outil. Si l’IA présente des risques, l’Europe doit investir pour ne pas être exclue et garder une souveraineté technologique voire sécuritaire.
Pour Hervé Pillaud,
« L’IA générative n’est pas une révolution technologique, c’est une révolution des usages : pour la première fois depuis l’histoire de l’humanité, c’est la machine qui tente de nous comprendre pour nous aider à créer. Nous devons changer notre manière de faire pour en parler : par des exemples, des mises en situation, des marathons de créativité numérique, des « Cafés IA » …L’avenir appartient désormais à ceux qui font et non à ceux qui conceptualisent ! ».
L’IA peut apporter des améliorations, mais il faut éviter la superposition et juxtaposition de concepts ou de normes imposées qui bloquent le système. L’évolution voire la révolution dans les métiers prendra du temps et doit être accompagnée. Il en appelle à encore mieux exploiter l’énorme potentiel des fermes expérimentales des instituts techniques, des Chambres d’agriculture et des lycées technologiques.
Anne-Claire Vial, présidente de l’Acta conclut que cette technologie doit résolument être au service des toutes les agricultures dont l’agriculture familiale (<100 ha) et doit répondre aux réels besoins du terrain, en citant Steve Jobs :