Un livre sur les leviers et innovations concrètes face aux défis climatiques agricoles

Notre agriculture devra relever, au cours du XXIᵉ siècle, un défi de taille : s’adapter au changement climatique.

Ce nouvel ouvrage commence par exposer les nombreux paramètres à intégrer dans cette véritable « équation climatique », aux composantes parfois contradictoires et toujours complexes.
Il s’attarde ensuite sur les conséquences concrètes du changement climatique, tant sur les grandes cultures que sur les productions animales en France.
La majeure partie du livre est consacrée aux leviers d’action disponibles et aux innovations en cours d’élaboration, autant de pistes prometteuses pour accompagner les agriculteurs et, plus largement, notre société.
Un chapitre entier traite de l’eau et de l’irrigation, envisagées comme outils de résilience, tout en abordant les points de controverse sur cette question.
Enfin, 10 annexes illustratives et une riche bibliographie viennent étayer le propos, offrant au lecteur un éclairage solide sur un enjeu aussi complexe qu’essentiel.

Jean Paul Bordes
Jean-Paul Bordes, directeur général de l'Acta de 2018 à 2024

L’auteur, Jean-Paul Bordes, nous en dit plus 

Vous soulignez dans votre ouvrage que le changement climatique est une « équation complexe ». Quels en sont, selon vous, les paramètres les plus difficiles à appréhender aujourd’hui pour le monde agricole ?

Jean-Paul Bordes – « C’est une équation complexe en général et en particulier pour l’agriculture en raison du nombre important de paramètres qui entrent en interaction avec le climat. Le choix des variétés et des races, les pratiques culturales et d’élevage, la gestion des risques technique et économique, l’organisation du travail, les choix stratégiques concernant le système d’exploitation…

Tout ce qui compose l’agriculture que nous connaissons et qui s’est construite au fil des années doit être requestionné à l’aune des changements climatiques à venir. L’autre point de complexité concerne l’interaction entre tous ces facteurs. En changeant l’un d’entre eux, pour mieux s’adapter, on change aussi la réponse des autres paramètres. Parfois les effets produits peuvent être contradictoires. Il est donc doublement difficile de trouver et mettre au point des solutions. On peut le faire par tâtonnement et itération comme le conseille le bon sens paysan mais demain on pourrait aussi utiliser à bon escient les jumeaux numériques et l’intelligence artificielle pour aider les agriculteurs à trouver leur chemin. »

Vous évoquez deux courants de pensée souvent opposés dans le débat sur l’adaptation au changement climatique : d’un côté, la décroissance et la sobriété, de l’autre, la confiance dans le progrès technologique. Vous introduisez un concept intermédiaire : celui d’innovation frugale. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il recouvre et en quoi il pourrait constituer une voie réaliste pour l’agriculture ?

J.-P. B. – « Je ne pense pas qu’il soit possible de se contenter des savoirs du passé pour résoudre un problème nouveau, inédit dans l’histoire de l’agriculture : l’évolution à grande échelle du climat. Il sera indispensable d’innover pour trouver de nouvelles solutions et faire face à de nouveaux problèmes. Cependant, l’innovation technologique seule n’aura pas la capacité de répondre à tout. Il faudra la combiner avec des changements de pratiques. Par ailleurs, si l’on veut embarquer tous les modes d’agriculture dont certaines ont de faibles capacités d’investissement, il faudra donner la priorité à des innovations peu coûteuses ayant un retour sur investissement assez rapide. Enfin pour toute innovation il faudra désormais regarder bien sûr le potentiel d’adaptation qu’elle procure mais aussi l’impact carbone qu’elle produit afin que les gains du côté de l’adaptation ne soient pas négativement compensés par des émissions supplémentaires. C’est l’ensemble de ces raisons qui me font parler d’innovation frugale, c’est à dire peu consommatrice d’énergie et de moyens. »

Vous soulignez que l’agriculture doit aujourd’hui relever un double défi : s’adapter aux nouvelles conditions climatiques tout en contribuant à l’atténuation du changement, notamment par la réduction des émissions. Vous parlez de « performance croisée » pour désigner cette exigence. Que recouvre ce concept et comment peut-il se traduire concrètement dans les pratiques agricoles ?

J.-P. B. – « Réduire les émissions de CO2 est nécessaire mais s’adapter aux changements climatiques est indispensable. Les deux types d’actions doivent être liés et cohérents, c’est pourquoi il convient d’évaluer toutes les solutions adaptatives afin que leur bilan carbone soit plus favorable que celui de la situation initiale, et au pire égal. On recherche donc des performances croisées positives issues d’une combinaison optimale entre réduction des émissions et adaptation. À titre d’exemple, la réduction du travail du sol économise des énergies fossiles (réduction des émissions) et augmente la capacité d’infiltration de l’eau dans le sol (adaptation). Cela parait simple à première vue mais peut devenir rapidement complexe quand on ajoute, dans le bilan, d’autres aspects comme la sensibilité du système de culture aux bioagresseurs, la rentabilité économique, etc. »

Votre ouvrage évoque de nombreux leviers d’adaptation. Quels sont, selon vous, ceux qui sont les plus accessibles à court terme pour les agriculteurs ?

J.-P. B. – « C’est une bonne question car l’adaptation au changement climatique devra se faire progressivement. Il faut donc commencer par le plus facile et accessible et se donner le temps de construire des solutions plus systémiques et plus élaborées. L’adaptation des dates de semis et de la précocité des variétés, la diversification de l’assolement, la taille retardée sur les fruitiers et la vigne, l’augmentation du stock fourrager pour les élevages, l’aménagement de zones d’ombrage pour les animaux au champ,… sont des premiers pas vers l’adaptation à la portée de tous. L’Acta, avec le concours du RMT ClimA,  a recensé plus de 100 leviers d’adaptation accessibles. (RMT : réseau mixte technologique regroupant autour d’une même thématique de recherche plusieurs experts d’horizons divers). »

Vous consacrez un chapitre entier à la question de l’eau. Quelles sont, selon vous, les pistes réalistes pour concilier irrigation, tensions sur la ressource et acceptabilité sociale ?

J.-P. B. – « L’eau est un élément essentiel de l’agriculture mais son accessibilité donc sa disponibilité dans les prochaines décennies va évoluer sensiblement au niveau spatial et au cours du temps. Au niveau national il faut s’attendre à plus de pluviométrie en hiver et plus de sécheresses en été. Il est donc indispensable de reconsidérer la gestion globale des masses d’eau pour entrer dans une logique de stockage pendant la période où l’eau est en abondance. L’agriculture n’est pas la seule concernée. L’industrie, la production d’énergie, la sécurité du territoire (incendies), le tourisme, la diversité environnementale et les particuliers qui consomment de l’eau potable tous les jours… Tous ces acteurs ont un intérêt commun à repenser la gestion globale de l’eau dans un futur proche. L’agriculture est la première à manifester son inquiétude mais rapidement les autres secteurs d’activité et les autres acteurs feront de même. »

Quels rôles jouent les instituts techniques agricoles pour accompagner l’innovation ?

J.-P. B. – « Le réseau des instituts techniques agricoles est déjà mobilisé depuis plusieurs années à la recherche de solutions adaptatives au point d’en faire son action prioritaire dans son programme commun  de recherche coordonné par la direction générale de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’agriculture. Son rôle principal est de tester et mettre au point des innovations utilisables par les agriculteurs et les entreprises agricoles. Mais pour être efficaces les innovations doivent être relayées jusque dans la cour de ferme par les acteurs du développement, c’est pourquoi les instituts techniques ne travaillent jamais seuls, mais en collaboration avec la recherche amont (principalement INRAE) et les organismes de développement (Chambres d’agriculture, coopératives agricoles, groupes d’agriculteurs,…). On pourrait résumer le credo des instituts techniques agricoles au travers de cette maxime : l’innovation ne vaut que si elle est utilisée largement. »

Au sein du réseau des instituts techniques agricoles, quels sont les travaux de recherches les plus prometteurs sur ce défi selon vous ?

J.-P. B. – « De nombreux axes de recherche sont déjà explorés (génétique, pratiques culturales et d’élevage, agro-équipements, bâtiments, numérique, … ) et livrent des premières solutions. Parmi les travaux les plus prometteurs et sans doute les moins connus, je citerais deux exemples :

  • D’abord le programme de phénotypage haut débit (en collaboration avec INRAE) qui permet d’identifier des variétés de blé, maïs, orge, lin,… mieux adaptées aux conditions de culture sous climat contraint par des formes variées de sécheresse.
  • Ensuite, le projet de « jumeaux numériques », en collaboration avec INRAE et INRIA, qui ambitionne de mettre au point un système d’exploitation agricole virtuel, sous forme numérique, permettant de tester une infinité de scénarios adaptatifs au changement climatique. L’intelligence artificielle peut aussi être mobilisée pour augmenter l’efficacité et la pertinence des pistes étudiées. Ce type d’innovation est déjà utilisé en médecine, dans l’industrie,… et le sera peut être demain dans l’agriculture.

Enfin, si vous deviez adresser un message aux ingénieurs, techniciens et animateurs de ces instituts, quel serait-il ?

J.-P. B. – « Je dirais que l’agriculture a besoin de compétences dans tous les domaines, et pas seulement en agronomie, pour re-concevoir l’agriculture du 21ème siècle. Car c’est bien de cela dont il s’agit si le climat, base de l’agriculture actuelle change, ce qui n’est plus une hypothèse mais une certitude déjà éprouvée. J’ajouterais qu’il faut bien sûr redoubler d’efforts dans la recherche d’innovations utiles, mais ce n’est que redire ce qu’ils font déjà avec talent et pragmatisme. Enfin, je pense qu’il ne faut pas avoir peur de l’innovation de rupture car tous les problèmes ne pourront pas être résolus avec les connaissances actuelles. Il faudra repousser les limites de l’imagination pour créer de nouveaux concepts, et découvrir de nouvelles solutions. Il est donc indispensable de développer le partenariat avec d’autres acteurs de la recherche en France et dans le Monde. C’est un métier d’avenir pour tous ceux qui veulent participer à la reconstruction de l’agriculture et du système alimentaire. »

L’AUTEUR :

Après une formation d’ingénieur en agriculture, Jean-Paul Bordes fait carrière dans le développement agricole, sur le terrain, au sein d’une chambre d’un institut technique agricole spécialisé dans la recherche d’agriculture puis d’un institut technique appliquée en agronomie. Après un un bref passage dans le cycle supérieur pour enseigne le machinisme agricole, il occupera plusieurs fonctions à responsabilité lui permettant d’appréhender les principaux principaux enjeux pour l’agriculture et notre système d’alimentation. Il termine sa carrière en tant que directeur général de l’Acta-le réseau des instituts techniques agricoles de 2018 à 2024, où il aura l’opportunité de côtoyer les plus grands experts de 19 instituts techniques spécialisés, en métropole et outre-mer dans les principales filières de production.