Enquête sur la réglementation autour de l'utilisation du glyphosate en grandes cultures
Basée sur le volontariat, plus de 10 000 agriculteurs ont répondu à l’enquête en ligne lancée l’été dernier par les instituts techniques agricoles. Il s’agissait de mieux connaître les usages du glyphosate dans les systèmes de grandes cultures et de recueillir les avis, interrogations et perspectives des producteurs sur l’interdiction programmée de cet herbicide en France.
Après l’interdiction de son usage dans une majorité d’espaces publics en 2017, le glyphosate est interdit pour les particuliers depuis 2019. L’élargissement attendu de ces restrictions ou interdictions au monde agricole soulève de nombreuses questions autour de son utilisation actuelle (quels types d’usage, quelles fréquences, quelles doses, dans quel contexte, etc.) et des alternatives de remplacement.
Pour y répondre, une enquête inter-instituts (Acta, Arvalis, Fnams, ITB et Terres Inovia) a été proposée aux agriculteurs, aussi bien utilisateurs que non utilisateurs de glyphosate, du 15/07/2019 au 18/09/2019 (via mailing essentiellement).
L’enquête a recueilli 10 183 réponses, dont 7 677 réponses complètes, ce qui est plutôt important pour une enquête en ligne. Cela montre la volonté des producteurs de partager leurs pratiques.
Un usage large du glyphosate
Les répondants possèdent une exploitation d’une surface moyenne de 176 ha, principalement cultivée en grandes cultures céréalières (avec une charge en cultures d’hiver assez importante : blé tendre, colza et orge), et conduites avec un travail du sol majoritairement de type labour (68 %).
94,8 % des répondants utilisent du glyphosate, ponctuellement ou régulièrement, sur toute ou partie de l’exploitation (figure 1). Nous sommes donc loin de l’hypothèse généralement avancée d’une utilisation de glyphosate exclusivement en non labour.
Des utilisations et doses ajustées au cas par cas, en lien avec des problématiques d’exploitation
Parmi l’ensemble des usages possibles du glyphosate proposés dans l’enquête, six ressortent comme
prépondérants (au-delà de 30 % d’utilisateurs), et quatre comme majeurs (au-delà de 50 %) (figure 2).
Les quatre usages majeurs sont :
- lutte contre les vivaces,
- destruction de repousses ou annuelles en interculture courte d’été,
- destruction de repousses ou annuelles en interculture longue,
- entretien des bords de ferme.
Ces usages, surtout d’interculture, sont pleinement justifiés car efficaces et peu chers.
Croisant ces usages et les typologies d’exploitation, il apparaît que les répondants en système labouré sont plutôt des utilisateurs ponctuels de glyphosate (1 année sur 3), sur des surfaces limitées (moins de la moitié de
l’exploitation), à des doses assez importantes (environ 3 l/ha, variables selon les usages : jusqu’à 5 l/ha sur vivaces).
À l’inverse, les répondants en non labour sont des utilisateurs plus fréquents de glyphosate (tous les ans), sur des surfaces importantes (toute la SAU traitée) mais à doses faibles (environ 1 l/ha, voire moins en interculture d’été).
Les exploitations concernées par ces quatre usages majeurs se répartissent schématiquement entre :
- des exploitations de taille assez importantes, plutôt utilisatrices de glyphosate à petites doses mais sur toute la surface,
- et des exploitations en système labouré, moins utilisatrices de glyphosate, qui sont de taille plus variable mais en moyenne moins grandes, avec des utilisations à doses plus élevées, sur une partie de l’exploitation.
Concernant le cas particulier de la production de semences, les agriculteurs mutiplicateurs utilisent le glyphosate dans des conditions similaires aux grandes cultures, avec toutefois des situations d’usages plus larges compte tenu des contraintes de pureté des lots de semences.
L’élément important à retenir est que l’usage de glyphosate n’est pas irraisonné : il est utilisé dans des situations le requérant.
Pas de nouvelles alternatives identifiées par les agriculteurs
L’un des objectifs de cette enquête était de savoir si les agriculteurs avaient identifié des alternatives crédibles à l’utilisation du glyphosate pour leur situation.
L’enquête fait ressortir que 77.5 % des répondants ne savent pas encore comment ils vont gérer leurs problématiques sans glyphosate.
À noter que sur l’ensemble des répondants, 352 n’utilisent plus de glyphosate et que leurs méthodes de gestion des adventices passent par un changement de système (agriculture bio) ou bien par un changement de rotation (allongement) et de travail du sol (labour, faux-semis, etc.) (figure 3).
Il n’y a donc pas de solutions « novatrices » à court terme pour compenser l’absence de glyphosate. À noter également que ces exploitations en agriculture biologique ou en cours de conversion sont globalement plus petites (91 ha en moyenne) que celles en agriculture conventionnelle (140 ha).
Ce recours accru au travail du sol (qui ne signifie pas obligatoirement du labour) aura des conséquences sur les besoins matériels, et donc sur les charges liées aux investissements : 70 % environ des répondants devront se rééquiper. Il modifiera également l’organisation des exploitations et les charges de fonctionnement et de main d’œuvre associées. Cela se traduit par des achats de matériels mais aussi par des outils de travail du sol plus larges ou de l’augmentation de puissance de traction.
Parmi les utilisateurs de glyphosate, 90 % déclarent vouloir intensifier les déchaumages et passages mécaniques avant le semis, 84 % les faux–semis, 75 % les interventions mécaniques dans les intercultures et les cultures, 55 % le labour.
76 % déclarent devoir modifier leurs programmes herbicides.
Un retrait qui mettra les exploitations en difficulté
Les inquiétudes mentionnées dans les réponses libres de l’enquête sont nombreuses et mettent en évidence des contraintes/incertitudes sur la viabilité d’exploitation ou de systèmes tels qu’ils sont menés aujourd’hui. Citons par exemple les systèmes en agriculture de conservation : ils sont vertueux sur de nombreux sujets (sols, érosion, etc.), mais dépendants étroitement de l’utilisation du glyphosate.
Ces systèmes sans glyphosate devront ré-intensifier leur travail du sol, avec des conséquences importantes d’ordre économique (investissements), agronomique (érosion, matière organique, etc.), environnemental (consommation de carburant, bilan Carbone, etc.) et organisationnel (capacité à travailler toute la surface, main d’œuvre, jours disponibles).
Les inquiétudes portent aussi sur d’autres conséquences techniques de l’arrêt du glyphosate, avec de probables recrudescences de vivaces et d’adventices annuelles, voire des risques sanitaires accrus (ergot, adventices allergisantes ou toxiques…).
Finalement, la balance bénéfices / risques de ce retrait, pour les agriculteurs, n’a pas été clairement établie. Mais une inquiétude vis-à-vis de la concurrence dans une économie ouverte, face à leurs voisins encore utilisateurs, est clairement exprimée par de nombreux répondants.