Gestion durable des sols : un sujet dont les ITA s'emparent
Contexte / Enjeux
La gestion durable des sols est un enjeu dont les ITA s’emparent. Les Instituts techniques agricoles sont des acteurs clés de la gestion durable des sols dans les systèmes agricoles et forestiers.
Dans un contexte où la reconnaissance des sols dans les politiques publiques internationale, européenne et nationale progresse ces dernières années, le Pacte vert pour l’Europe vise en partie les sols et plusieurs initiatives européennes récentes concourent à l’atteinte de ses objectifs.
La Commission européenne a notamment adopté en 2021 une nouvelle stratégie thématique pour la protection des sols de l’Union Européenne, concrétisée par une proposition de directive relative à la surveillance et à la résilience des sols en juillet 2023. Elle a également mis en place en 2020 un Observatoire Européen des sols (EUSO), pour connaître et suivre l’état des sols dans les États-membres.
En outre le programme EJP SOIL (European Joint Programme), centré sur les sols à usage agricole, et la mission européenne « un pacte pour des sols sains en Europe » ciblant l’ensemble des usages des sols, sont deux initiatives majeures des programmes-cadres de recherche et innovation européens. Leurs résultats pourront être mobilisés tant par les acteurs de la recherche que par les décideurs politiques.
En France, le sujet a également gagné en importance depuis 2015, année internationale des sols et du lancement de l’initiative 4 pour 1000.
Plusieurs politiques et initiatives françaises récentes sont directement liées aux sols, comme la stratégie française sur l’énergie et le climat (SFEC), qui inclut la troisième stratégie nationale bas carbone (SNBC3). Par ailleurs, la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience », inscrit l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) dans le code de l’urbanisme et introduit dans le droit français la notion de « fonction écologique » d’un sol.
Sols, fonctions et services écosystémiques :
de quoi parle-t-on ?
Les sols constituent la couche superficielle de la croûte terrestre, jusqu’à la roche mère.
Ils sont constitués d’éléments minéraux et organiques, d’eau, d’air et d’organismes vivants.
Leur épaisseur peut varier de quelques centimètres à plusieurs mètres voire dizaines de mètres sous certains climats. Ils sont le siège d’un grand nombre de processus physiques, chimiques et biologiques assurant de multiples fonctions, comme le recyclage de la matière organique et des éléments nutritifs, ou la régulation du cycle de l’eau.
À travers ces fonctions, les sols rendent des services à la société, tels que la fourniture d’aliments, la régulation des inondations.
La bonne gestion des sols agricoles et forestiers, une question d’équilibre
Les fonctions des sols et les processus sous-jacents sont interdépendants : certains sont en synergie et d’autres peuvent parfois entrer en concurrence.
Le forestier ou l’agriculteur doit tenir compte de la multifonctionnalité des sols et donc gérer des compromis. Il recherche un équilibre entre les différentes fonctions du sol pour favoriser l’expression des services écosystémiques attendus. Quel que soit l’usage, disposer des connaissances et outils nécessaires pour arbitrer ces compromis de manière éclairée représente l’un des principaux défis actuels.
©Thomas FEISS
Stocks de carbone dans les sols
Dans un contexte de changement climatique, il est nécessaire de réduire la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre comme le CO2 .
Les plantes, via la photosynthèse, consomment du CO2 pour le transformer en matière organique Les racines, les résidus de culture et les litières (feuilles et rameaux en forêts, vignes et vergers) apportent au sol de la matière organique qui nourrit la faune du sol. Principal constituant de la matière organique, le carbone s’accumule ainsi dans les sols sous des formes plus ou moins stables.
Ces stocks de carbone se répartissent sur toute la profondeur du sol (variable selon les types de sol). Ils sont toutefois plus importants en surface (couche 0-30 cm) qu’en profondeur et donc sensibles aux usages et pratiques agricoles et sylvicoles.
Défis et rôle de l’Acta et des Instituts techniques agricoles (ITA)
Si les ITA intègrent le sol dans leurs travaux depuis de nombreuses années, la thématique s’est renforcée depuis 2015.
En témoigne notamment la mission inter-instituts « Agropédologie », créée en 2016, qui rassemble aujourd’hui 7 ITA autour de l’Acta et leur permet de mutualiser et capitaliser leurs actions autour de ces enjeux. Les activités de la mission s’articulent autour des axes suivants :
- données sols et outils d’aide à la décision (OAD) ;
- méthodologies et connaissances ; transfert et diffusion ;
- animation et gestion de partenariats.
L’Acta et les ITA se mobilisent pour mettre à la disposition des professionnels des connaissances et outils opérationnels pour une gestion durable des sols agricoles et sylvicoles.
Parmi les productions récentes du groupe des référents sol des instituts, on peut citer une note technique sur l’utilisation du potentiel RedOx dans la gestion des sols ou une note synthétique sur les concepts de fertilité, qualité et santé des sols. Les Instituts techniques agricoles s’impliquent dans des projets de recherche appliquée à l’échelle nationale et européenne et travaillent notamment à la construction d’indicateurs et de référentiels permettant de mieux appréhender la qualité des sols (cf. pages 5 et 6). Ils cherchent à développer des pratiques de gestion à la fois adaptées au changement climatique et permettant aux sols agricoles et forestiers de jouer leur rôle dans l’atténuation de ce dernier.
La préservation des sols nécessite l’implication de tous les acteurs (experts, pouvoirs publics, collectivités, agriculteurs et forestiers, …) et une approche transversale. L’Acta et les instituts techniques se mobilisent également dans l’animation de réseaux d’acteurs et de dispositifs expérimentaux favorisant le partage d’expérience et la coordination des initiatives scientifiques et techniques sur les sols. Forts de leurs expertises, l’Acta et les instituts techniques éclairent également les pouvoirs publics sur la question des sols agricoles et sylvicoles.
Un dispositif multi-acteurs pour renforcer la coordination et la visibilité des initiatives scientifiques et techniques dédiées aux sols
Le réseau national d’expertise scientifique et technique sur les sols (RNEST) vise à fédérer les acteurs français de la recherche, du développement et de l’innovation (RDI) travaillant en lien avec la gestion et la préservation des sols, pour tous les usages (agricoles, forestiers, urbains, etc.).
L’objectif est de renforcer la coordination et la visibilité des initiatives notamment entre experts et décideurs, afin d’éclairer les politiques publiques et répondre aux besoins des acteurs concernés par la gestion des sols.
Lancé en décembre 2016 dans le cadre du plan Agriculture-Innovation 2025, le réseau est porté par 11 organisations représentant des acteurs nationaux essentiels de la RDI sur les sols.
Le RNEST est animé par l’Acta et co-présidé par les ministères en charge de l’agriculture, de l’écologie, et de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’Acta représente également dans RNEST les Instituts techniques agricoles.
Le réseau s’appuie enfin sur un comité de 32 experts aux profils variés et complémentaires (discipline, secteur d’activité) permettant un regard croisé sur les grands enjeux « sols ».
Parce qu’il facilite les échanges, la coordination et le consensus, le RNEST est notamment un outil de choix pour renforcer l’intégration de la communauté française dans les dynamiques européennes récentes sur les sols agricoles et non agricoles (proposition législative, programmes de recherche dédiés).
Évaluer et améliorer les effets des systèmes de culture sur les sols grâce à des dispositifs de longue durée qui favorisent la multi-performance
Les Instituts techniques agricoles ont mis en place des dispositifs expérimentaux pour produire avec les producteurs des références favorisant la transition agroécologique et un accompagnement vers la multi-performance, adapté à la complexité des systèmes de culture sur le territoire national.
L’action Syppre est portée par ARVALIS, Terres Inovia et l’ITB depuis 2015. Dans ce cadre, sont menées 5 expérimentations « systèmes de grandes cultures » comparant un système innovant avec un témoin, dans des dispositifs randomisés. L’évolution des indicateurs physiques, chimiques et biologiques des sols est suivie dans chacun des systèmes et confrontée à un diagnostic complet à la mise en place des sites.
Le dispositif contribue à éclairer les effets des systèmes de culture sur la santé des sols. Depuis 2008, l’ITAB anime et fédère au sein du réseau RotAB, des expérimentations « systèmes de longue durée sur les grandes cultures bio », dans 12 centres d’expérimentation pilotés par divers partenaires (Chambres d’agriculture, ARVALIS, GAB, INRAE…).
Le réseau a permis de mieux connaitre les effets des rotations, d’optimiser la conception des systèmes selon les contraintes locales et les axes de multi-performance prioritaires. En particulier, la gestion des adventices et de la qualité des sols a pu être retravaillée. Le réseau est aussi un laboratoire pour la co-conception des systèmes et leur valorisation.
Les bases de données issues de ces expérimentations constituent des ressources précieuses, mobilisables pour répondre à de nombreuses interrogations et inspirer de nouveaux systèmes de culture en faveur de la santé des sols.
©ITB
©ITB
Les sols et le changement climatique, vers une plus grande résilience des agrosystèmes
Dans un objectif de gestion durable et dans un climat changeant, la protection des sols, socle de nombreux écosystèmes est essentielle.
Ce compartiment vital abrite une biodiversité très riche, permet de stocker du carbone sur le long terme et constitue le support de la production végétale des systèmes agricoles et forestiers.
Privilégier les prairies dans la conduite des troupeaux d’herbivores et encourager les systèmes de production associant cultures et élevage permet en particulier de favoriser le recyclage carbone organique dans les sols et de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Les Instituts techniques agricoles, avec leurs partenaires, développent des outils d’aide à la décision (OAD) afin d’accompagner agriculteurs, éleveurs et forestiers dans leurs travaux quotidiens.
Sources : Agreste – Enquête TERUTI, IGN
Matières organiques des sols et gestion des prairies
CAP’2ER, outil développé par l’Idele – Institut de l’Élevage, a permis de réaliser 30 000 diagnostics permettant de cibler les actions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et de favoriser le stockage du carbone dans les sols des élevages d’herbivores.
Le volet agronomique s’est enrichi du bilan humique (modèle AMG) pour tenir compte de l’effet des pratiques de gestion des cultures.
En 2022, Idele – Institut de l’Élevage et INRAE ont développé une application en ligne, autonome et gratuite, CarSolEl, pour simuler l’effet des pratiques de gestion des prairies comme l’intensité de pâturage, de récolte, fertilisation, la durée d’implantation sur la séquestration de carbone (Chambaut et al, 2022 EGF).
Afin de mieux connaitre l’impact de l’élevage sur le sol, un observatoire des sols d’élevage bien gérés a été mis en place en 2021 (OCBO).
Les taux de matière organique seront suivis dans 80 parcelles et leur évolution sur plusieurs années pourra être mise en relation avec les pratiques d’élevage.
Ce dispositif, soutenu par le CNIEL et INTERBEV, bénéficie d’un partenariat public (INRAE), de développement (Farm@ xp, Chambres d’agriculture, CIIRPO, Poisy) et économique (CAVEB).
L’impact des conduites actuelles sur les sols est en relation avec les milieux. L’effet de techniques émergentes comme l’utilisation de litières ligneuses, de digestat de méthanisation, de pâturage tournant dynamique est étudié. Le réseau Idele s’est élargi aux fermes du massif alpin (projet Decarbon’Alp, SUACI) et à une cinquantaine d’élevages pilotes (Greensheep, ClieNFarms et LIFE CarbonFarming), permettant de diversifier les contextes d’ici 2024.
Aide à la décision face au risque de tassement en systèmes agricoles et forestiers
Un des risques majeurs qui pèse sur le sol est celui du tassement par la circulation des engins
En forêt
Les engins sont tenus de circuler sur les cloisonnements : l’enjeu réside sur le maintien de leur praticabilité pour limiter les surfaces circulées. Le projet VSOILForOAD (ADEME, pilote ONF, partenaires CNPF-IDF, FCBA et INRAE) vise à modéliser le bilan hydrique des sols tassés dans ces cloisonnements et à prédire le risque de formation d’ornières en fonction de la météo. Il s’adresse aux exploitants et gestionnaires. Il permet la gestion des chantiers, l’estimation des jours praticables par an et de faire le lien avec les scénarios d’évolution climatique.
En systèmes grandes cultures avec betteraves
L’évolution du poids des équipements de récolte conjuguée avec l’allongement des durées de campagnes sucrières exposent à des arrachages en conditions humides en fin d’automne et un risque de tassement irréversible en profondeur (> 40 cm).
Le projet PREVIBEST (FranceAgriMer 2019, piloté par l’ITB, partenaires Tereos, AgroTransfert) vise à anticiper et éviter cette prise de risque, en fonction des besoins des différents acteurs. Il complète l’outil J-DISTAS (CasDAR 2018 piloté par ARVALIS, partenaires ITB, AgroTransfert, INRAE, UniLaSalle, chambres d’agriculture de l’Aisne et de l’Oise) qui évalue les jours disponibles pour les interventions culturales.
© Julien Fiquepron CNPF
Diagnostiquer la fertilité physique, chimique et biologique des sols
Les Instituts techniques agricoles travaillent à la construction d’indicateurs et de référentiels à différentes échelles territoriales permettant de mieux appréhender la qualité des sols qu’ils traduisent sous forme de guide, à l’image du « Guide pour mesurer la qualité biologique des sols à destination de la filière des plants de pommes de terre » publié récemment par l’Inov3PT ou d’outils de diagnostic comme ceux développés par l’IT2 en zone tropicale présenté ci-après.
Un outil de diagnostic de fertilité des sols agricoles de Guadeloupe, ainsi que des outils d’aide à la décision (OAD) de création de stratégies de fertilisation organique des cultures ont été développés dans le cadre du projet SOLORGA (FEADER 2020-2022) porté par l’IT2 et réalisé en collaboration avec le Cirad, CTCS, SICA LES ALIZES et ASSOFWI.
Ces outils permettent l’évaluation de la fertilité physique, chimique et biologique des sols et l’acquisition de connaissances locales sur le fonctionnement des sols et le comportement des matières organiques. Des formations ont été réalisées auprès des conseillers et techniciens agricoles des organisations de producteurs, de la chambre d’agriculture et du lycée agricole de la Guadeloupe.
Ils peuvent désormais réaliser des diagnostics chez les agriculteurs et établir, en collaboration avec ces derniers, des itinéraires techniques adaptés aux sols de l’exploitation, avec des matières organiques optimales pour leur système de culture.
L’appropriation de ces outils par les acteurs du monde agricole favorise l’autonomie des agriculteurs dans la gestion de leur fertilisation, et permet une prise en compte de la qualité des sols dans leurs stratégies.
Inov3PT©
©IT2
Maitriser les maladies telluriques et préserver la biodiversité des sols
Les sols agricoles sont soumis à des pratiques intensives – forte consommation de produits phytosanitaires, mécanisation importante, faibles restitutions organiques – affectant leur intégrité physique via des processus d’érosion, de tassements importants et de perte de matière organique.
En parallèle, diverses études identifient une baisse globale de l’abondance et de la diversité des organismes vivants dans les sols viticoles et maraîchers. De récents projets conduits par l’IFV et le CTIFL analysent l’impact des pratiques sur la qualité biologique des sols (e.g. Clef de sol, DOMINO, Gascogn’Innov, SolAR, PITIVIH, SOLIVITI).
Ils mettent en évidence que la couverture du sol (couverts végétaux ou paillage) améliore la vie du sol, de même que les apports organiques, le travail simplifié du sol et la restitution des bois de taille. L’intensification des pratiques agricoles et la baisse de la biodiversité des sols fragilisent les cultures vis-à-vis des maladies et ravageurs telluriques. Les conséquences s’échelonnent du déclassement commercial des produits à la destruction de parcelles.
Ensemble, les Instituts techniques agricoles œuvrent au déploiement du biocontrôle pour limiter l’usage des produits de synthèse. En plus, l’emploi de leviers agroécologiques est étudié. L’utilisation de plantes de services, de biostimulants, l’apport de matières organiques suppressives ou encore la restauration de la fertilité du sol sont au cœur de projets prometteurs (e.g., REPULSE, RECCABLE, SYNERGIES, FILFRUIT).