Tribune de Jean-Paul Bordes, Directeur Général de l’Acta – les instituts techniques agricoles,  invité à la table ronde : « Le dérèglement climatique : quel saut dans les compétences ? » animée par Yves LE MORVAN, Responsable Marchés et Filières chez Agridées le 23 novembre 2022.

 

Face à la transition globale que nous vivons aujourd’hui, les acteurs des secteurs agricoles, agroalimentaires et agro-industriels s’interrogent. Quelles sont les compétences d’aujourd’hui et de demain qui nous permettront à la fois de répondre aux urgences climatiques et de rester performant en matière de production et d’amélioration de l’offre alimentaire ? Notre système d’acquisition et d’évolution des compétences va-t-il encourager et servir cette transition globale ?

Organisée par Agridées le 23 novembre 2022, la conférence « Agriculture de demain : quelles compétences ? » a réuni autour de deux tables rondes différents acteurs des secteurs agricoles, agroalimentaires et agro-industriels. Ces tables rondes viennent alimenter les débats et les propositions développés à l’occasion de la sortie d’une nouvelle Note du Think tank Agridées « Dynamique agricole : quelles compétences ? ».

La notion d’aléas climatiques

Le climat a déjà amorcé son changement depuis plusieurs années mais plus que la dérive tendancielle des températures, ce qui impacte le plus les activités agricoles c’est la notion d’aléas climatiques. Face à ce nouvel objet climatique non identifié, l’agriculture va devoir imaginer de nouvelles stratégies d’adaptation que nous n’avons jamais rencontrées en Europe de l’Ouest.

Une adaptation et des transformations à l’échelle du territoire : le rôle des démonstrateurs territoriaux

Ces changements climatiques ne seront probablement pas uniformes sur le territoire et leurs conséquences encore moins. Le Varenne agricole a permis une prise de conscience collective que chaque territoire doit faire son diagnostic de vulnérabilité et inventer son propre écosystème agricole en associant tous les acteurs concernés avant de passer à la déclinaison des plans d’action. C’est pourquoi les démonstrateurs territoriaux jouent un rôle primordial. Ils permettent de construire de nouveaux modèles agri-alimentaires à une échelle de résolution et d’action pertinente : le territoire.

Transition ou changement permanent ?

Le changement climatique est souvent appréhendé comme un nouveau jeu de contraintes auquel les exploitations agricoles vont devoir s’adapter. Ce n’est pas faux. Mais cette représentation masque probablement le fait que les transformations climatiques vont s’opérer sur plusieurs décennies. Cela signifie que le modèle agricole « optimum » des années 2030 ne sera pas le même que celui des années 2040 ni celui des décennies suivantes. Une autre dimension est à prendre en compte : l’accélération des tendances ou des aléas et donc l’accélération nécessaire de nos capacités adaptatives. Le monde agricole et ses acteurs devront s’adapter en permanence, nous ne parlons donc plus de simple transition mais bien de changements permanents. En termes de compétences cela suggère que la capacité d’adaptation sera probablement plus importante que la détention d’un savoir.

Une diversification des activités et du modèle agricole pour plus de résilience

Une des conséquences de la territorialisation des changements climatiques et de l’accélération des aléas, mais aussi une des clés de la résilience, réside dans la diversification des activités pour conserver de la valeur dans les exploitations agricoles (agrivoltaisme, méthanisation, crédits carbone, transformation des produits, vente directe) mais aussi dans les types d’agricultures complémentaires Agriculture de conservation des sols /agriculture biologiqueAB /HVE (Haute valeur envrionnementale, agriculture de de précision, etc) et dans le dialogue avec la société. Si cette tendance se confirme, elle complexifie le processus d’apprentissage des futurs agriculteurs qui vont devoir se transformer en couteau suisse.

Enseigner à s’adapter plutôt qu’enseigner des savoirs

Une des conclusions issues de ces réactions en chaine concerne la finalité de l’enseignement. Ne vaut-il pas mieux enseigner à s’adapter qu’enseigner des savoirs ? Cette double finalité de l’enseignement n’a jamais été remise en cause mais l’équilibre entre ces deux voies ne sera probablement pas le même. Celui qui survivra à des changements répétés de son environnement est celui qui aura la capacité à se remettre en cause, à anticiper, à imaginer de nouveaux chemins, à s’inspirer de son environnement sans le copier, à emprunter des chemins réversibles, etc.

Hybridation des connaissances pour élargir le champ des possibles et stimuler la créativité

De ce point de vue la notion d’hybridation des compétences est un concept intéressant car il invente de nouveaux possibles, construits sur des assemblages apparemment improbables. L’histoire nous a livré quelques beaux exemples d’hybridation dans le monde agricole, comme la télédétection et l’agronomie, la production agricole et la restauration, le numérique et l’agriculture, et plein d’autres encore.

Le partage d’expériences comme formation continue

Une autre voie déjà éprouvée en agriculture mais sans doute encore pertinente dans les années à venir est celle du partage avec ses pairs. Lorsqu’un agriculteur parle à un autre agriculteur de son expérience, l’impact en termes de crédibilité est bien meilleur que celui d’un sachant vers un apprenant. Ce n’est pas spécifique au monde agricole mais compte tenu de ses particularités (isolement des chefs d’exploitation, diversité des systèmes de production, travail avec le vivant, liens fusionnels entre le temps professionnel et le temps personnel ,etc) il est probable que ce lien relationnel entre pairs devienne une nouveau processus de formation continue. Prenons pour exemples la formation de groupes d’échange pour l’apprentissage de l’agriculture de conservation ou encore le développement des GIEE.

Un socle de connaissances de base indispensable

Si l’avenir est plus dans la capacité adaptative que dans l’application de modèles éprouvés, il ne faut pas pour autant balayer du revers de la main les connaissances de base. C’est même une condition de survie car à tout moment l’exploitant devra faire des choix techniques et/ou économiques qui ne pourront pas être déconnectés des réalités de terrain. Mais quelles sont les connaissances de base ? Cette réflexion reste à mener même si certaines connaissances resteront indispensables (fonctionnement du sol, plante, climat, animal, etc.) en plus des nouvelles compétences à adopter (économie, SHS, commercial, finance, juridique,etc.).

La place du développement agricole et de la recherche appliquée ou académique dans ce contexte d’aléas climatiques

Ces transformations ouvrent des questions existentielles pour de nombreux secteurs d’activité en lien avec l’écosystème agricole. En premier lieux le développement agricole mais aussi les organismes de recherche. Leur façon de travailler ne peut pas être la même si l’on considère que les end-users ont eux-mêmes profondément changé.

La quête de sens pour les nouvelles générations agricoles

On constate dans tous les métiers une recherche accrue de sens de la part des candidats à un poste. L’agriculture n’échappe pas à cette quête. C’est même peut-être une opportunité pour faciliter les transformations dont l’agriculture a besoin pour construire son futur. C’est sans doute aussi ce qui la rapprochera encore plus des attentes sociétales qui expriment la même aspiration ».

Jean-Paul Bordes
Directeur Général
0670217993